Rien, surtout pas le nombre d'habitants francophones ou simplement bilingues,
ne pouvait laisser supposer que le Canada donnerait autant d'artistes d'expression
française.
Pourtant, après le succès de Félix Leclerc dès
les années 50 en France, la Belle Province, le Québec, n'a
eu de cesse de produire un flot de talents canadiens d'envergure internationale,
Pèle-mèle, citons, Robert Charlebois, Diane Dufresne, Roch
Voisine, Diane Tell, Gilles Vigneault, Fabienne Thibeault...Tous firent
une carrière remarquable en France.
Une seule Canadienne d'expression française a réussi le fabuleux
cross-over. Celui qui consiste, tout en conservant le public francophile,
à conquerir les États-Unis d'Amérique.
Ce sont les balbutiements de cette conquête que nous vous proposons
ici. Le début de la fabuleuse carrière de la petite Québécoise
à la voix d'or.
Céline Dion voit le jour le 30 mars 1968, au moment où le
Québec se libère du joug du clergé et de la suprématie
des anglophones. Son prénom, elle le doit à une chanson que
sa maman fredonnait tout le temps alors qu'elle était enceinte: "Céline",
signée par Vline Buggy et interprétée par Hugues Aufray.
Elle est la dernière d'une famille de quatorze enfants, à
une époque o tout a failli définitivement se gâter entre
la France et le Canada. En effet, en 1967, le Général de Gaulle
lance au balcon de l'Hôtel de Ville de Montréal l'historique
"Vive le Québec libre". Les Québécois applaudissent,
le gouvernement d'Ottawa fulmine, le Général stoppe sa visite.
Très jeune, Céline est baignée dans un univers musical.
Ses parents, comme ses frères et soeurs, jouent tous un instrument.
La chanson la passione en un tel point qu'elle commence à chanter
dans l'hôtel que tiennent ses parents dans la banlieue Est de Montréal.
En 1978, elle a à peine 10 ans. Un de ses frères et sa mère
lui écrivent une première chanson, "Ce n'était
qu'un rêve", dont Céline fait une maquette.
La cassette est envoyée à un impressario très dynamique,
René Angelil, qui compte déjà à son palmarès,
René Simard et Ginette Reno. Celui-ci décide de sortir le
disque sur le marché québécois.
Le 19 juin 1981, elle fait sa première émission de télévision
avec Michel Jasmin au Québec, alors que vient de paraître sur
le marché un premier album, "La voix du bon Dieu", avec
des reprises de chansons traditionnelles comme "Les roses blanches"
de Berthe Sylva ou "Tire l'aiguille" de Renée Lebas. Le
succès est tel que,, pour Noël 1981, sort un deuxième
album "Céline Dion chante Noël". Là encore,
sur les puissantes cordes vocales de Céline, les chants de Noël
traditionnels prennent une nouvelle dimension. De "Sainte Nuit"
à "J'ai vu Maman embrasser le Pére Noël", en
passant par "Petit Papa Noël", pas encore adapté par
Jordy, les chants de la Nativité revus et corrigés par Céline
font rêver grands et petits, de Montréal à Québec
en passant par Trois-Rivières.
Très vite, René Angelil a de grandes ambitions pour Céline.
Le marché québécois, avec ses trois millions de francophones,
est un marché étroit. Il demande à Eddy Marnay, de
l'aider à imposer Céline en France. Celui-ci au début
1982 réussit à convaincre Pathé-Marconi de sortir "Ce
n'était qu'un rêve" dans l'hexagone, mais le disque ne
marche pas.
Il faut attendre 1982 pour que son 45 tours "D'amour ou d'amitié"
triomphe en France, toujours chez Pathé. DÈsormais, sa carrière
française est entre les mains de l'éditeur Claude Pascal.
En juillet, elle effectue son premier voyage dans l'hexagone et en profite
pour enregistrer trois chansons en France. La même année, en
octobre, elle est à Tokyo. Après avoir fini dans les trente
sélectionnés sur 1907 candidats, elle emporte la finale du
13ème Festival Yamaha ("World Popular Song Festival") devant
12 000 spectateurs et 115 millions de téléspectateurs nippons
subjugués par sa voix. En même temps, un troisième album,
"Tellement j'ai d'amour pour toi", sort au Québec. Le disque
finira disque d'or là-bas.
En janvier 1983, son apparition au MIDEM de Cannes est très remarquée.
Elle représente le Canada au gala RTL en qualité de révélation
de l'année. Après son passage en vedette dans "Champs
Elysées" de Michel Drucker, son nouveau titre "Mon ami
m'a quittée" est un nouveau succès. De retour chez elle,
en mai, marraine d'une association de lutte contre la fibrose kystique,
elle chante sur la Place des Arts à Montréal avec l'Orchestre
Symphonique Métropolitain. Rien ne lui fait plus peur, elle est enfin
consciente de ses qualités vocales exceptionnelles.
Mi-juin, elle est de nouveau à Paris pour sa promotion, mais aussi
pour enregistrer cinq chansons nouvelles. En septembre sort son quatrième
album au Canada, "Les chemins de ma maison", avec une reprise
de "Mamy blue", et celui-ci part très vite à l'assaut
des hits locaux. Lors du gala de l'ADISQ, les Victoires de la Musique au
Québec, elle reçoit ses quatre premiers trophées Félix.
Beaucoup d'autres suivront. A nouveau pour Noël 1983, "Chants
et contes de Noël", son cinquième album, reprend des traditionnels
ainsi qu'"A quatre pas d'ici", l'adaptation du succès de
Buck Fizz.
Après une tournée dans plusieurs villes du Québec,
Céline vient à nouveau en France faire sa promotion en 1984.
Maintenant que deux pays sont conquis, son manager a déjà
dans l'idée une carrière internationale. Pour commencer à
l'imposer dans les pays anglo-saxons, il choisit d'enregistrer "D'amour
ou d'amitié" et "Mon ami m'a quittée" en allemand
et de lui faire suivre des cours de danse avec Peter George.
C'est l'époque o elle chante "Une colombe" devant le Pape
et surtout devant 65 000 personnes massées sur la place centrale
de Montréal. Enregistré en partie au Québec, en partie
en France, son sixième album, "Mélanie", montre
ses capacités vocales en constante évolution. Elle viendra
deux mois faire sa promotion en France d'octobre à décembre.
En novembre 1984, alors que "Mon rêve de toujours" n'obtient
pas le succès escompté, elle est sur la scène de l'Olympia
en première partie de Patrick Sébastien. Elle y restera cinq
semaines. Chez elle, lors du gala de l'ADISQ 1984, elle reçoit deux
nouveaux trophées Félix.
Si en France, en 1985, sa carrière marque le pas -- le simple "C'est
pour vivre" ne marchant pas vraiment --, au Canada, elle a rejoint
le peloton de tête des chanteuses. Elle part à nouveau en tournée
mais cette fois-ci dans 25 villes à travers toute la Belle Province.
Il faut dire qu'elle a un sacré matériel. Six albums sont
sortis, auxquels se rajoute en 1985, un live, "En concert", où
on trouve "Over the rainbow" ainsi que deux hommages, un à
Félix Leclerc, un à Michel Legrand. En même temps, une
compilation caritative, "C'est pour toi" est mise en vente dans
certains magasins. Après une tournée supplémentaire
au Québec mais aussi au New-Brunswick, Céline revient à
Paris pour sa promotion. Pour la troisième année consécutive,
elle est primée l"ADISQ. Cette année avec cinq trophées
Félix, celle qui chante, et fait rêver sans se soucier des
méridiens, commence à réellement croire que sa vie
est un rêve.
1986 est l'année de ses vingt ans. De son repli aussi. Céline
n'a pas eu d'adolescence, elle veut essayer de commencer une vie de femme
à une rythme normal. Pendant ce temps, en France, sa maison de disques
choisit de sortir "Billy" en simple, une chanson inédite
au Québec. La Belle Province préfère publier un neuvième
"long jeu" (Long play en joual, 30 tours 30 cm), en fait une seconde
compilation.
Décidemment les carrières québécoise et française
de Céline sont dissociées. En 1987, à nouveau, le simple
"Je ne veux pas", enregistré en version longue et version
courte, ne sort qu'en France. La chanson a été signée
par Romano Musumarra à qui on doit tous les tubes de Jeanne Mas,
Stéphanie de Monaco et quelques chansons du répertoire de
Sylvie Vartan ou d'Elsa. Tout comme le suivant "La religieuse",
"Je ne veux pas" n'est pas un énorme succès. Mais
Céline n'est pas de la trempe de ceux qui se découragent.
Alors qu'elle va être sélectionée par la Suisse pour
la représenter à l'Eurovision, un dixième album sort
au Québec: "Incognito".
Quelques larmes vite essuyées, un sourire qui laisse éclater
sa joie, Céline Dion avec "Ne partez pas sans moi" vient
de remporter l'Eurovision 1988. Le plus grand concours européen de
la chanson enlevé par une Canadienne. On croit rêver. Elle
aussi. Nous sommes au printemps 1988. Un demi-milliard de téléspectateurs
du monde entier la découvrent ce soir-là. Le disque sort partout
en Europe, y compris en Allemagne, et fait un triomphe. Contrairement à
beaucoup d'autres gagnants du Concours, sa Victoire ne gâtera pas
son évolution. Vraiment, la carrière de Céline ne ressemble
à aucune autre. Restent à conquérir les États-Unis,
mais là encore, rien ne peut l'arrêter. Le Québec est
de plus en plus fier de son succès international. Elle revient au
gala de l'ADISQ et y empoche quatre trophées supplémentaires.
En 1989, Céline réfléchit beaucoup: l'Eurovision est
un excellent tremplin pour la conquête planétaire, à
condition de bien gérer l'envol. Avec beaucoup de professionnalisme,
elle prépare son onzième album, qui n'a rien à voir
avec les précédents. "Unison" a le son. Lisa Stanfield,
Mariah Carey ou même Whitney Houston se demandent comment cette petite
Québécoise a pu en arriver là. L'album est superbe,
de niveau international. Restent les réactions des Québecois
qui sont réfractaires à la langue anglaise. Mais là
aussi, tout se passe pour le mieux, le Canada tout entier est derrière
elle pour la soutenir face au monstre américain. Après des
mois de lutte durant l'année 1990, elle entre le 5 janvier 1991 au
Billboard US avec "Where does my heart beat now". Le titre finit
4ème et reste 15 semaines classé. Ca y est! Céline
vient de se prouver que le travail paie toujours, alors que les Québécois
exultent. Le petite de Montréal est entrée par la grande porte
dans la cour de la nouvelle génération de chanteuses à
voix. Quelque mois plus tard, en juin 1991, une autre chanson "Any
other way" entre à nouveau dans les Charts américains.
Pour continuer à occuper le marché francophone, depuis 1990
est sorti "Dion chante Plamondon", un douzième album tout
en français qui sera rebaptisé "Des mots qui sonnent"
en France quelque mois plus tard. C'est dans ce dernier qu'on trouve "Je
danse dans ma tête", et surtout la chanson "Ziggy"
qui triomphera en 1993. Céline en fera alors une cover (adaptation)
en anglais pour "Tycoon", la version américaine de "Starmania".
Suite à son triomphe américain, en 1991, celle qu'on appelle
désormais Dion par respect, est choisie pour chanter la bande originale
du film américain de Walt Disney, "Beauty and the beast",
"la belle et la bête". Juste retour des choses: durant ses
années de petite fille, Céline a rêvé grâce
à tous les personnages magiques de Disney. Aujourd'hui, elle participe
à la construction du rêve pour les enfants du monde entier.
Elle reprend d'ailleurs la chanson sur son treizième album "Céline
Dion" fin 1991. Quelques titres, comme "If you asked me to"
et "Love can move mountains" en seront extraits dans quelques
pays d'Europe.
A l'heure où sort en France son quatorzième album, "The
colors of my love", promis au plus grand avenir, c'est avec tendresse
qu'il faut écouter les titres de ce disque, qui n'est rien d'autre
que le témoignage de ce qu'était Céline il y a dix
ans. De ce que l'on peut réussir avec le travail et la passion aussi.
Plus aucun doute: Céline fait partie des quelques rares "female
vocalists" qui donnent, à chaque nouvelle interprétation,
leurs lettres de noblesse à la Variété française
et internationale.
Bravo à la cousine de la Belle Province!